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Point de vue L’UNESCO, les États et l’état du patrimoine mondial Par Haroutioun Khatchadourian Juin 12, 2017 1 commentaire L’inanité des décisions internationales est quelquefois si grossière que nous pourrions nous demander si elles sont utiles ou néfastes tant le biais qu’elles génèrent peut nous éloigner de la réalité et dissimuler l’inaction de ces institutions. La direction de l’UNESCO a participé à deux décisions importantes prises à quelques mois d’intervalle par des États, parties prenantes des guerres actuelles. Il s’agit de la conférence internationale (1) qui a eu lieu à Abu Dhabi le 2 et 3 décembre 2016 et la session de l’ONU du 24 mars 2017 à New-York dont la résolution 2347 mentionne que « la destruction délibérée du patrimoine est un crime de guerre ».Pourquoi ces décisions masquent-elles la réalité ? Car elles se concentrent sur un cas spécifique de destructions physiques du patrimoine en temps de guerre et omettent les destructions en temps de paix. Cela est loin d’être une attitude intègre face à la réalité.“Les destructions se divisent en deux catégories : l’annihilation physique et le déni informationnel.”Essayons d’y voir plus clair. Les destructions physiques sont causées par des guerres asymétriques où interviennent des groupes terroristes tels qu’en Afghanistan (les Bouddhaas de Bâmiyân), au Mali (les mausolées de Tombouctou) ou en Syrie (les monuments de Palmyre). N’oublions pas qu’elles sont aussi causées par certains États qui participent de manière directe ou indirecte à des guerres (l’Arabie Saoudite au Yémen).Mais qu’en est-il des destructions en temps de paix ? Elles se divisent en deux catégories : l’annihilation physique et le déni informationnel, forme plus subtile de destruction. La première est causée au sein même de certains États contre une partie de la population (patrimoines tibétain et Ouighour de Kachgar par la Chine) ; ou, par un État qui détruit une partie de son patrimoine (Arabie Saoudite) ; enfin, plus sournois, la destruction continue du patrimoine d’une nation éradiquée du territoire où elle vivait depuis des millénaires comme par exemple le patrimoine des Arméniens de Turquie ou de l’Azerbaïdjan (nécropole arménienne de l’ancienne Julfa…).La deuxième catégorie se rapproche du déni de l’histoire par omission d’information : les inventaires des États sont le cœur du problème. En Europe, deux conventions, celle de Grenade (1985) et celle de La Valette (1992) ont été signées et ratifiées par un grand nombre de pays, dont la Turquie. Son cas est représentatif. Cet État s’engageait à constituer des inventaires objectifs : seul une quarantaine de monuments cultuels arméniens sur les 3000 qui existaient avant le génocide des Arméniens sont « référencés » sur le site du ministère de la culture et du tourisme turc. Ces engagements n’ont donc pas été suivis de faits. Sa politique numérique envers le patrimoine arménien est très insidieuse. Malgré toutes les preuves archéologiques, photographiques et documentaires, la Turquie est aussi dans le déni informationnel.“Il serait légitime que l’UNESCO dénonce toutes les formes de destructions, en particulier en période de paix.”Il est donc clair que les États participent directement aux destructions physiques et au déni informationnel, en temps de guerre ou de paix. Mais pouvons-nous affirmer que l’UNESCO participe aussi à ce déni ? Est-ce que la direction de l’UNESCO a une responsabilité indirecte sur les destructions occasionnées par ces États à cause de ce déni ? Voilà la vraie question. Il est tout à fait compréhensible que l’UNESCO ait du mal à intervenir en période de guerre, mais cela ne la dédouane pas d’être transparente même lorsque les intérêts des États sont en jeu. Si, comme son site web l’indique, son objectif est de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes », il serait légitime que l’UNESCO dénonce toutes les formes de destructions, en particulier en période de paix. La connaissance n’est-elle pas au centre des préoccupations de l’UNESCO ? Il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas le cas. L’UNESCO est aussi dans le déni informationnel. En effet, aucune information sur la destruction du cimetière de Julfa au Nakhitchevan par l’Azerbaïdjan sur son site web alors que nous avons des informations sur d’autre destructions (Nimrod en Irak…). De même, aucune information sur les destructions internes à l’Arabie Saoudite ou la Chine envers le Tibet.L’UNESCO est encore dans le déni informationnel lorsqu’il s’agit des destructions du patrimoine arménien par la Turquie, membre fondateur de l’UNESCO, car là encore aucune information n’apparaît sur son site. La question de la spoliation du patrimoine de la nation arménienne, de sa restitution et de sa réparation par la Turquie n’est toujours pas réglée depuis un siècle et l’UNESCO brille par son déni. Si la raison d’être de l’UNESCO est l’éducation, elle devrait s’intéresser à ce cas d’école universel.“De quelle éthique de l’information parle-t-on à l’UNESCO ?”En ce qui concerne les listes du patrimoine mondial et les listes indicatives, l’organisation n’est pas en reste car non seulement une dissymétrie profonde, déjà identifiée, existe entre l’Europe et le reste du monde mais l’analyse des deux listes fait apparaitre les profondes discriminations des États qui les proposent.Le cas de la Turquie est là encore représentatif et édifiant. Ses listes font apparaître proportionnellement très peu de monuments chrétiens, dont deux seuls arméniens. Est-ce à dire que cette région qui fut l’un des berceaux du christianisme ne possèderait aucun monument ? En ce qui concerne le patrimoine mondial, il ne fait aucun doute que l’UNESCO accepte cet état de fait et se trouve ainsi dans le déni informationnel. Quant aux listes indicatives des différents États, l’UNESCO se décharge même de toute responsabilité sur leur contenu (2)… Nous pouvons aussi analyser les listes indicatives de l’Égypte (combien de sites coptes ?), de la Chine (combien de sites tibétains ?)… Mêmes constatations. Pourtant, ces listes sont des leviers sur lesquels elle peut agir. Elles sont d’excellents indicateurs pour mesurer la politique de ségrégation des États au sein de leurs frontières.Sur un autre registre, lorsque le 26 et 27 avril, il s’est agi d’auditionner les candidats au futur poste de directeur, l’organisation a retenu dans cette liste des représentants d’États qui pratiquent des destructions physiques (Azerbaïdjan, Chine) ou fournissent des listes indicatives partiales (Égypte). Cerise sur le gâteau, l’UNESCO organisait le 6 mai une conférence sur le dialogue interculturel à Bakou, en Azerbaïdjan, pays classé 162e en termes de liberté d’expression. De quelle éthique de l’information parle-t-on à l’UNESCO ?“La réalité est cynique car le déni de l’UNESCO est manifeste lorsque les responsables des destructions physiques sont les États, membres de l’UNESCO”On nous rétorquera que les États, et par conséquent l’UNESCO, ont légiféré. Ce à quoi nous répondrons que rien n’est plus facile que de légiférer sur les destructions du patrimoine lorsque nous sommes en présence de terroristes, déjà criminels par ailleurs. C’est de la communication pour émouvoir et tromper des millions de personnes. Monsieur Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre déclarait récemment au sujet des décisions de la conférence d’Abu Dhabi : “Il ne s’agit en aucun cas de se substituer aux différents pays souverains pour la protection de leur patrimoine, mais d’aider aux financements de projets pour apporter notre aide à ceux qui la demandent. Quand j’ai commencé à travailler sur les 50 propositions qui m’avaient été demandées, j’ai cru à un doux rêve, mais aujourd’hui, il prend corps à Abu Dhabi“.Mais oui, Monsieur Martinez, c’est un doux rêve car combien de génocides ont eu lieu suite à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de Genève de 1948 ? A-t-on pu les prévenir ? Non. La réalité est cynique car le déni de l’UNESCO est manifeste lorsque les responsables des destructions physiques sont les États, membres de l’UNESCO. Par ailleurs, n’est-il pas prétentieux de vouloir régir les destructions en temps de guerre lorsqu’elles ne sont pas gérées en temps de paix ? La guerre est l’expression du chaos qui règne dans chaque être humain et nulle loi ne pourra éradiquer quoi que ce soit sauf peut-être une éducation intègre exempte de toute discrimination et de toute violence. Alors peut-on continuer ainsi en rêvant, en étant soumis aux États autoritaires ? Oui, l’UNESCO et sa direction sont responsables. Sa gouvernance faite de consensus et de complaisance, s’appuyant sur la souveraineté des États, est la source même de sa paralysie. Cette organisation se trouve face à un dilemme comme dans le jugement de Salomon. En effet, à qui appartient le patrimoine culturel créé il y a des siècles voire des millénaires qui se trouve aujourd’hui par les hasards de l’histoire sur un territoire sous la juridiction d’un État ? Il y a une antinomie fondamentale entre les États (« nationaux ») et le patrimoine mondial (valeur pour l’humanité). L’UNESCO a la responsabilité de résoudre ce dilemme. Mais a-t-elle les moyens et le courage politique de le faire ? Si elle ne l’a pas, il serait préférable de dissoudre cette organisation car son inaction et sa perfidie ainsi que l’impunité dont jouissent certains Etats contribuent à accroitre leurs actions destructrices. Il serait plus sain de laisser se dérouler sous nos yeux en toute lucidité la tragédie humaine sans se voiler la face ni celle des autres. (1) Conférence internationale sur la protection du patrimoine culturel dans les situations de conflits.(2) cf. rubrique « avertissement » de la liste indicative sur le site web de l’UNESCO.(Photo : vestiges archéologiques de la vallée de Bamîyân / Wikimedia Commons)Related Posts:« Israël-apartheid » : une opération de propagande…Chékéba Hachemi : « L’éducation des filles est une…Diffamer, pour la « bonne Cause »Hamit Bozarslan : « Erdoğan mène une politique de…Hajar Bali : "Je ne crois pas à la soumission des femmes"Parle-t-on trop du conflit israélo-palestinien ?
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